dimanche 24 juin 2007

Canada et Maroc, mes deux amours

La communauté des Marocains émigrés au Canada compte 45.000 juifs et 55.000 musulmans. Deux situations différentes, mais un même attachement au pays d’origine.

Manifestation de Marocains contre l’État d’Israël.

Aux Côtes de Neiges, à Montréal, Simone et Rachelle Amar, deux vieilles dames à l’allure occidentale, parées de bijoux en or à la façon d’Essaouira, discutent en parler marocain sous les platanes enneigés du prochain mariage d’une nièce à Casablanca. Comme les sœurs Amar, de nombreuses familles juives marocaines habitent ce quartier de la métropole canadienne.

Amar, Benaroche, Bensoussen, Cohen, El Maleh, Lévy, Malka... en font partie. Elles représentent la première vague des immigrants marocains au Canada. Celle-ci a débuté vers la fin des années quarante pour s’accentuer au milieu des années cinquante. Entre 1957 et 1967, trois mille israélites ont quitté le Maroc pour le Canada. Plusieurs ouvrages consacrés à cette communauté reviennent sur les raisons de cet exode. Tous s’accordent pour dire que ces motivations sont plus politiques qu’économiques.

Le départ des colons français et la montée du panarabisme ont créé une situation d’incertitude. La guerre des Six Jours, en 1967, n’était pas à son tour pour apaiser les esprits. Solly Lévy, l’une des figures de proue de la promotion du dialogue interculturel à Montréal, et son épouse Madeleine sont parmi ceux qui ont laissé leur terre natale pour le Québec à cette époque. Cette province semblait attirer particulièrement les Juifs d’Afrique du Nord, appelés aussi les Sépharades, puisque la majorité de la population y était francophone, comme eux.

À Montréal, l’arrivée des Sépharades a provoqué la naissance de vives tensions entre ces derniers et les immigrants juifs plus anciens, les Ashkénazes. À part une religion commune, ces deux communautés ne partagent pas en effet beaucoup de traits culturels.

Les Ashkénazes sont imprégnés de la culture de l’Europe de l’Est et parlent le yiddish (mélange d’hébreu, d’allemand, de polonais et de russe) tandis que la culture des pays arabes qui les ont vu naître et ses différentes langues et dialectes prédominent chez les Sépharades. Afin de préserver les particularités de leur communauté, ces derniers sont parvenus, non sans difficultés, à mettre en place leurs propres institutions. Ainsi, à Montréal, le réseau des écoles juives est l’un des plus développés d’Amérique du Nord. Ils disposent également de leurs unités hospitalières, de leurs services sociaux et de leurs structures culturelles. «La quinzaine Sépharade» illustre bien leur volonté de faire connaître leur civilisation et leur culture.

La communauté marocaine fêtant aîd el adha 2006 à Montréal.

Plus ouverte que la communauté ashkénaze, la communauté des Juifs marocains s’est intégrée plus facilement à la société québécoise. Possédant une solide éducation, les immigrants juifs marocains occupent des postes importants dans l’enseignement, les professions libérales ainsi que dans les milieux de la mode et du textile. Dans la plupart des cas, ils ont retrouvé une situation financière comparable, sinon meilleure, à celle qu’ils avaient au Maroc. Cette ascension sociale rapide leur a permis de quitter leurs logis de la rue Saint Laurent, quartier juif montréalais, pour habiter des quartiers huppés tels que Côte-Saint-Luc et Dollard-des-Ormeaux.

Bien qu’ils fassent aujourd’hui partie intégrante du paysage canadien, les juifs marocains n’ont pas oublié leur terre natale. Chaque année, comme les autres expatriés israélites du monde entier, ils se retrouvent autour des tombeaux des saints situés à Ouezzane, Essaouira, Errachidia ou Taroudant pour fêter la Haïloula, un moussem juif qui rappelle les fastes du passé et commémore leur relation indéfectible à la terre de leurs ancêtres. Le réalisateur canadien Donald Winkler a immortalisé cet amour en dressant un portrait éloquent de Solly Lévy dans son film Voyage Sépharade... Du Maroc à Montréal. Cet attachement réside aussi dans le rôle qu’ils jouent dans le rayonnement de la culture marocaine. Ils continuent à manger de la dafina, plat traditionnel de la cuisine judéo-marocaine, pendant le shabbat, comme en témoigne Georges Amar, réalisateur à Radio Canada. Sauf que le four à bois a été remplacé par la plaque chauffante, mais le goût est tout aussi savoureux. Au mariage, la cérémonie du henné et le port du caftan sont toujours de rigueur.

Beaucoup de couples juifs reviennent au Maroc pour fêter leur union matrimoniale. Même ceux qui choisissent de la célébrer au Canada veillent à respecter les traditions et les rites liés à la cérémonie de mariage marocaine. Parfois, ils importent tout du Maroc, des tenues et parures en passant par les ingrédients des plats et le mobilier, afin de recréer l’ambiance du pays. Le chanteur Salomon Amzallag, connu par Samy El Maghribi, se produisait régulièrement dans les mariages et autres festivités des juifs marocains au Canada avant sa retraite en Israël. Il a acquis une renommée internationale grâce à ses interprétations de musique hébraïque et arabe.

À côté de cette communauté juive marocaine établie à Montréal et estimée à 45.000 personnes, il y a la communauté des marocains musulmans qui compte, pour sa part, plus de 55.000 ressortissants. Si la première est bien structurée et solidaire, la seconde est par contre dispersée et mal organisée, comme le rapportent plusieurs témoignages.

Le premier immigré marocain musulman s’appelait Mohamed El Morro. Ce marin a débarqué au port de Montréal en 1886. Cependant peu de ses compatriotes ont suivi son exemple. Les flux migratoires n’ont commencé que vers 1980 et n’ont pris de l’ampleur que vers la fin des années quatre-vingt-dix. Entre 2001et 2005, ils étaient 16.428 Marocains à avoir émigré au Canada.

La particularité de cette immigration marocaine par rapport à celle à destination des pays européens, c’est que dans la plupart des cas, celle-ci est légale. Personne ne s’aventurerait à traverser l’Océan Atlantique en patera. De plus, la politique d’immigration, adoptée par le Canada dans les années soixante, est sélective. Elle exige des profils qualifiés exerçant différents métiers: architecture, notariat, expertise comptable, médecine, ingénierie... Ces dernières années, cette liste a beaucoup rétréci.

Le Canada d’aujourd’hui a plus besoin de médecins capables de s’installer dans des provinces éloignées. Peu de Marocains acceptent cette condition. Le Québec, particulièrement Montréal, reste la province la plus privilégiée et la plus prisée.

Ce n’est pas le seul problème que rencontrent les immigrants marocains diplômés. Il y a aussi celui de l’équivalence, une procédure administrative compliquée et lente, mais surtout coûteuse. Une difficulté de taille pour un nouvel arrivant sans revenu. Les statistiques montrent que cela prend en moyenne deux ans et demi pour qu’un Maghrébin trouve son premier emploi au Québec. Le chômage touche 28% des immigrants maghrébins.

Beaucoup de Marocains pratiquent des petits métiers pour survivre. Ils ne prennent pas pour autant la décision de revenir au pays car, souvent, ils n’y ont plus de situation.

Dans ce tableau noir, il existe une lueur d’espoir. Les exemples de success-stories parmi la communauté marocaine ne manquent pas. Mohamed El Khayat est ainsi souvent cité pour son parcours exceptionnel. Ce natif de Tétouan est arrivé à la ville Québec en 1987, muni d’un diplôme en informatique obtenu à Grenade en Espagne et cinq cents dollars en poche. Le jeune El Khayat a ramé pour trouver un emploi de vendeur de produits Apple à Micro-Contact. Aujourd’hui, il est actionnaire à 50% et vice-président directeur général de cette société informatique. Mohamed El Khayat a reçu le titre de “Grand bâtisseur” en 2000, remis par le Bloc Québécois et le prix Immigrant du monde 2001, décerné par la Chambre de commerce et d’industrie du Québec métropolitain.

La diaspora marocaine compte d’autres histoires de réussites, comme celles de Khalil El Koundy, administrateur de systèmes unix à l’agence spatiale canadienne ou Mohamed El Amiri, Directeur du transport aérien à l’Organisation internationale de l’Aviation civile, à Montréal, ou encore Fatima Houda Pépin, député libérale à l’Assemblée générale, pour ne mentionner que ceux-là. Plusieurs associations s’activent pour aider les 100.000 Marocains que compte le Canada à s’adapter à leur nouvel environnement et à s’intégrer socialement, comme c’est le cas pour la Fédération Marocaine du Canada, créée en 1999. Cet organisme à but non lucratif regroupant le mouvement associatif marocain au Canada oeuvre pour les intérêts et l’épanouissement des Marocains à travers l’organisation de manifestations à caractère social, culturel et sportif.

La communauté estudiantine marocaine est également très active. «Pour un Maroc Meilleur», regroupant des étudiants et des résidants marocains au Canada, a organisé le 8 février 2007, une soirée caritative à Montréal pour récolter des fonds et financer de la sorte un programme de lutte contre l’analphabétisme dans les régions les plus reculées du Maroc. Le groupe «Atlasmédias», co-fondé par Rachid Najahi et Abdelghani Dadès, oeuvre pour le rapprochement des Marocains juifs et musulmans établis au Canada avec le pays d’origine en organisant des rencontres intercommunautaires à l’occasion des grandes fêtes religieuses. Mais aussi en relayant l’actualité communautaire par le biais d’une émission radio diffusée tous les dimanches, un site Internet et un bi-mensuel Atlas. Mtl. Actuellement, la communauté marocaine suit avec enthousiasme les élections provinciales québécoises du 27 mars 2007. Et pour cause. Deux candidats d’origine marocaine s’y présentent: Yasmine Alloul, 31 ans, sous les couleurs du Parti Libéral du Québec dans le Comté de Rosemont, et Kamal El Batal, du Parti Québécois, dans la circonscription montréalaise Jeanne-Mance/Viger. Ce jeune Marocain avait soulevé un vif débat sur la discrimination raciale à l’emploi au Québec en 2003. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre: les petits-enfants de Simone, Rachelle, Rachid, Yasmine et les autres ne compteront certainement pas pour des prunes dans le Canada de demain.


Par Loubna Bernichi

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