dimanche 24 juin 2007

La vie de Château d'un plongeur immigrant

C'est presque l'histoire typique de l'immigrant instruit qui devient plongeur au Québec, malgré qu'il soit francophone en plus. Mais presque seulement. Parce que celui-là est plongeur au Château Frontenac. Il est syndiqué. Et il gagne le double du salaire minimum, sous l'autorité d'un autre immigrant beaucoup moins anonyme celui-là, le grand chef Jean Soulard.

Ce n'est pas le rêve américain auquel aspirait Brahim Batouil, chez lui au Maroc, dans la ville de Fes ; surtout au bout de 7000 $ de frais d'immigration - il a engagé un conseiller privé, en Afrique. Mais l'homme de 36 ans a gagné en trois ans ce qu'il aurait gagné en 30 là-bas, il a une femme et une petite fille de deux ans, et il coule des jours plutôt heureux dans son quartier de Limoilou. Malgré tout.

"Le plus dur, au Québec, confie Brahim au SOLEIL, c'est l'individualisme des gens. Le chacun pour soi. C'est très difficile d'entrer en contact avec le voisin. Tandis qu'en Afrique, tout le monde parle à tout le monde."

Ce qu'il apprécie le plus, à l'opposé, c'est la grande liberté des individus. "La télé d'ici nous renferme trop sur nous, en parlant surtout de ce qui se passe ici, dit-il. Alors que celle du Maroc nous montre constamment le monde entier. On a même RDI là-bas. Mais elle nous cache le quotidien du pays. Quand on n'est pas informé de ce qui se passe chez soi, on n'est pas libre."

Brahim Batouil voulait d'abord s'installer à Montréal, comme le font 85 % des immigrants du Québec. Mais il avait un précieux contact à Québec, une jeune femme marocaine immigrée avant lui et devenue femme de chambre à l'hôtel Le Concorde. Quand il est arrivé, le 2 avril 2002, la jeune femme l'a hébergé et aidé à se faire une vie à Québec. Elle a si bien réussi qu'ils se sont mariés et ont fait un bébé.

À contrecoeur

Membre d'une modeste famille de six enfants, Brahim a arraché le coeur des siens quand il a décidé de partir. Mais ceux-ci l'ont quand même aidé à émi- grer, parce qu'ils appuyaient ses aspirations à une vie plus facile. Son baccalauréat en bureautique et sa formation d'ingénieur ne l'aidaient pas plus au Maroc qu'ils ne l'aident ici.

"Sauf qu'ici, nuance-t-il, je ne m'attendais pas à ça. La promotion d'Immigration Canada nous dit que de bonnes qualifications vont nous permettre de dénicher un bon emploi. Et quand on arrive au pays, ces qualifications ne sont pas reconnues. Il aurait fallu que je refasse mes études, pour obtenir cette reconnaissance. Je n'avais pas les moyens." Il est néanmoins resté. Contrairement, par exemple, à un ami architecte, qui est retourné au Maroc.

Brahim est content de vivre au Québec. Mais il dit ne pas comprendre que le Canada choisisse l'élite du Maroc, affaiblisse donc ce pays, mais sans trouver le moyen d'en tirer parti lui-même. Une récente étude nationale lui donne fortement raison. Elle démontre que l'instruction acquise à l'étranger ne vaut que les deux tiers de la scolarité complétée au Canada, en termes de revenus, tandis qu'une année d'expérience acquise ailleurs ne vaut que le tiers d'une année d'expérience acquise au Canada.

Il affirme n'avoir rien trouvé de potable au Centre local d'emploi (CLE). Il a donc trouvé des petits boulots par lui-même ici et là : chaîne de production de pizzas congelées, fabrication de gâteaux dans un restaurant. Puis il est allé déposer son curriculum vitae à la Foire annuelle de l'emploi. Le Château Frontenac l'a embauché.

Brahim Batouil a gentiment accepté de raconter son histoire au SOLEIL. Mais il a refusé d'être photographié. Pourquoi ne pas profiter de cette liberté si chère à sa nouvelle vie ?

Source :Alain Bouchard,
Le Soleil

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