Il y a actuellement à Montréal des immigrants titulaires d’un baccalauréat, d’une maîtrise ou d’un doctorat qui, faute d’un emploi correspondant à leur formation, conduisent des taxis du matin au soir. «Il s’agit d’une réalité qui tend à disparaître», déclare le sociologue Jean Renaud, directeur du Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM). «Sur le plan professionnel, ajoute-t-il, l’intégration se fait de façon plutôt satisfaisante.»
Au cours d’une étude menée auprès de plus de 1541 immigrants de fraîche date (1997-2000), le chercheur a mesuré pour la première fois l’accès aux emplois qualifiés chez les «travailleurs sélectionnés», soit ces immigrants choisis par l’État québécois selon la pertinence de leur savoir-faire sur le marché du travail. «Plus des deux tiers des immigrants (68%) ont un emploi qui correspond à leurs compétences après cinq ans de vie au Québec, résume le chercheur qui a reçu l’aide de Tristan Cayn, cosignataire de cette importante étude. C’est une bonne nouvelle, car il est rare que des immigrants occupent par la suite un emploi de niveau inférieur.»
Autre bonne nouvelle, un immigrant sur deux obtient un premier emploi dans les trois premiers mois de son arrivée, et la même proportion occupe un poste lié à ses compétences dans les 12 premiers mois. Les immigrants titulaires d’un doctorat sont ceux qui ont accès le plus rapidement à un emploi qualifié. Ceux qui éprouvent plus de difficulté à trouver ce type d’emploi sont ceux qui possèdent un diplôme dans le domaine de la santé, des sciences humaines ou des sciences sociales.
Entreprise à la demande du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC) du Québec, cette étude est la première en son genre puisque la trajectoire professionnelle des immigrants n’avait jamais été mesurée avec des outils méthodologiques d’une telle précision. Joint par téléphone, chaque répondant (des hommes pour la plupart, car on désirait parler au requérant principal) a dressé la liste de ses différents emplois et des cours d’appoint suivis, décrit son parcours scolaire, etc.
L’échantillon représentatif a été élaboré en fonction des listes du MICC.
Le pays d’origine: facteur de réussite
C’est dans l’analyse des pays d’origine que certaines surprises attendaient les sociologues. Les immigrants en provenance du Maghreb, de l’Europe de l’Est et de l’ex-URSS sont aussi nombreux que les immigrants d’autres origines à dénicher un emploi digne de leurs compétences. Mais leur temps d’adaptation est plus long. «Après une période d’adaptation de 18 mois, ils connaissent le même taux d’accès aux emplois et aux emplois qualifiés que les ressortissants d’Europe de l’Ouest ou des États-Unis», explique M. Renaud.
S’il y a des chauffeurs de taxi diplômés universitaires, c’est surtout parmi les hommes d’origine orientale. «Les immigrants issus d’Asie, du Moyen-Orient et d’Océanie semblent désavantagés. Pour eux, l’accès à un emploi ou à un emploi qualifié est significativement plus lent.»
Même après cinq ans, ces derniers accusent toujours un retard sur le marché du travail quand on les compare avec les autres immigrants. Dans son analyse, M. Renaud se garde de tirer des conclusions définitives sur les causes de cette réalité. «Tout ce que je peux dire, c’est que d’autres études seraient nécessaires pour mieux comprendre ce phénomène», affirme-t-il. Mais il admet que l’effet net des régions de provenance pose problème. Serions-nous en présence d’une forme de discrimination?
Au Québec, les trois plus gros bassins d’immigration sont l’Europe de l’Ouest et les États-Unis avec 37,9% des immigrants, le Maghreb avec 25,6% et l’Europe de l’Est (incluant l’ex-URSS) avec 15,9%. Les régions de l’Asie de l’Ouest et du Moyen-Orient comptent pour 6,2% des nouveaux arrivants, l’Asie de l’Est et l’Océanie pour 5,5%, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud pour 4,9% et l’Afrique (excluant le Maghreb) pour 4,1%.
Une grille efficace
L’étude dont les résultats ont été rendus publics le 27 mars par le MICC visait à faire la lumière sur le cheminement des immigrants qui correspondent à la catégorie des travailleurs sélectionnés. «Il y a trois principaux groupes d’immigrants, résume M. Renaud: ceux qui viennent rejoindre leur famille, les réfugiés et les travailleurs sélectionnés. Ce sont ces derniers que nous avons suivis.»
Parmi les 40 000 immigrants qui entrent annuellement au Québec avec l’intention d’y faire leur vie, la moitié (22 000 en 2004) sont des travailleurs qualifiés. Ils forment une population largement scolarisée puisque les deux tiers (63%) ont un diplôme universitaire. Plus de 36% ont un diplôme de premier cycle, 15% une maîtrise et 7% un doctorat. Mais ils se heurtent à divers problèmes parmi lesquels figure la reconnaissance des diplômes. Pour de nombreux ordres professionnels, les études accomplies à l’étranger ne constituent pas un critère pour l’entrée dans la profession. Et les besoins du marché du travail fluctuent constamment. Il ne faut donc pas s’étonner que les ingénieurs formés à l’étranger soient en chômage lorsque les firmes d’ingénierie locales licencient leur personnel au complet et ferment boutique.
Ce que le ministère a demandé aux chercheurs, c’est de vérifier si une nouvelle politique de sélection, appliquée en 1996, avait eu un effet positif sur le cheminement des immigrants. La réponse est oui, mais un oui auquel il ne faudrait pas donner trop d’importance, selon le sociologue. «Si l’on compare les deux politiques, avant et après 1996, on peut dire que la seconde est plus efficace, mais seulement de 12 % environ», fait observer M. Renaud.
Source : Canoë & Mathieu-Robert Sauvé, journal Forum de l'Université de Montréal
dimanche 24 juin 2007
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