" Un oubli sans doute. Votre remise immédiate serait appréciée. " Inscrites bien en évidence au milieu de la facture de 18 675 $ envoyée par l'hôpital Sainte-Justine, les deux petites phrases ont fait broyer beaucoup de noir à Hassan Alaoui et à sa femme depuis plus d'un an.
Arrivés au Canada le 29 juin 2003 après avoir été sélectionnés par le service d'immigration du Québec et avoir rempli toutes les formalités exigées, les Alaoui, originaires du Maroc, se doutaient bien que leurs premières semaines de vie à Montréal seraient difficiles. Mais ils étaient loin de s'attendre à ce que le délai de carence imposé par la Régie de l'assurance-maladie, qui prive les immigrants fraîchement arrivés de soins de santé gratuits pendant leurs trois premiers mois au Québec, les mette dans une situation aussi intenable.
L'histoire a commencé un peu moins de deux semaines après l'entrée du couple au pays, lorsque leur fille, Aya, alors âgée de 3 ans, a commencé à se plaindre d'un tenace mal de ventre accompagné de fièvre et d'insomnie. Le 13 juillet, après quelques nuits d'enfer, M. Alaoui, bien conscient qu'il n'était pas couvert par l'assurance-maladie, a fini par se rendre à l'hôpital Sainte-Justine, où les médecins ont rapidement diagnostiqué un abcès abdominal impossible à opérer.
Mise sous étroite surveillance médicale, Aya a dû rester alitée pendant huit jours; à 3735 $ par jour, la facture est rapidement monté à 29 880 $.
Suivant les conseils de membres du personnel médical, M. Alaoui a présenté une demande de prestation de dernier recours (aide sociale) après cinq jours d'hospitalisation, assurant ainsi automatiquement l'admissibilité de la famille au régime d'assurance-maladie; sa facture a ainsi par la suite été réduite à 18 675 $ par l'hôpital Sainte-Justine.
Condamné à l'aide sociale
" Maintenant, le problème, c'est que je suis pris là-dedans. Tant que je reçois de l'aide sociale, les percepteurs de l'hôpital Sainte-Justine ne peuvent absolument rien contre moi, mais dès que je me trouve un boulot, je vais me faire dévorer par eux. "
" C'est ridicule, lance M. Alaoui, âgé de 33 ans et titulaire d'un certificat en électricité. Je suis venu au Canada pour évoluer, pour aller de l'avant dans une carrière qui m'intéresse. Pas pour me faire vivre toute ma vie par la société. "
Mis en place le 31 mai 2001 par l'ex-ministre péquiste Pauline Marois, le délai de carence imposé aux nouveaux immigrants vise principalement à éviter l'utilisation abusive du système par les personnes qui viennent ici " temporairement uniquement pour bénéficier des soins de santé gratuits ". Lors de son implantation, la RAMQ avait également affirmé que, puisque l'Ontario l'impose depuis longtemps, le Québec devait en faire autant pour éviter que des immigrants ontariens prennent une adresse temporaire au Québec pour profiter du système.
" Ce que je trouve ridicule dans tout ça, c'est que j'écope de ce délai de carence alors que j'avais déjà des assurances privées au Maroc qui m'auraient permis de faire soigner gratuitement ma fille, affirme M. Alaoui. Mais en arrivant au Canada, je n'avais tout simplement plus les moyens de me payer de telles assurances parce que je n'avais pas d'emploi. Mon pécule était limité: j'avais à peine de quoi acheter deux matelas neufs et payer deux mois de loyer. "
Philippe Couillard déjà au courant
La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, qui a à maintes reprises dénoncé ce délai de carence, a soulevé le cas de M. Alaoui devant l'Assemblée nationale en décembre dernier, " mais rien n'a bougé depuis ", affirme son directeur général, Stephan Reichhold. " Le ministre Couillard lui-même m'a dit qu'il était scandalisé par cette affaire et qu'il allait faire quelque chose, mais manifestement rien n'a été fait. "
Selon l'avocat Jean-Pierre Ménard, spécialisé dans les litiges médicaux, le ministre de la Santé jouit d'un pouvoir discrétionnaire qui lui permettrait d'effacer complètement la dette de M. Alaoui " pour motifs humanitaires ".
L'hôpital Sainte-Justine a refusé de commenter le cas de M. Alaoui, se contentant d'affirmer que la facturation est conforme aux normes édictées par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSQ). Le MSSQ a confirmé cette information.
Source : Tristan Péloquin,
La Presse
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