dimanche 24 juin 2007

19 000 Maghrébins attendent pendant que l'État encaisse des millions de dollars

Les candidats pourraient devoir patienter de cinq à sept ans

Quand le Québec reçoit une demande d'immigration du Maghreb, il encaisse le chèque et dépose le formulaire à traiter sous les 19 000 qui attendent. Résultat : au moins 5,7 millions $ pour l'État et des délais de cinq à sept ans pour les candidats du Maroc, d'Algérie et de Tunisie.


Chaque fois qu'un étranger entame une démarche pour venir au Québec, il doit accompagner sa demande d'un chèque de 300 $ pour lui, plus 100 $ pour chaque membre de sa famille immédiate l'accompagnant. Pierre Brunet, président de l'Association québécoise des avocats en droit de l'immigration, calcule que chaque candidature coûte en moyenne entre 500 $ ou 600 $.


Selon les données transmises par le ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration (MRCI), 19 000 dossiers attendent d'être traités. Une quantité équivalente de chèques de 300 $ se traduirait par une contribution de 5,7 millions $. Si les chèques sont en moyenne de 500 $, ce sont presque 10 millions $ qui ont été encaissés.


Selon M. Brunet, le fossé est tel entre le nombre de demandes reçues et celles qui sont traitées que 10 000 formulaires de plus devraient être déposés sur la pile cette année. Ce qui représente au moins 3 millions $ de plus pour l'État québécois.


Depuis 2001, le nombre de demandes d'immigration en provenance du Maghreb a explosé et les délais de traitement n'ont cessé de s'étirer. Les Maghrébins qui adressent aujourd'hui une demande au MRCI pour venir au Québec reçoivent comme accusé de réception une lettre les avisant que leur "dossier est en attente de traitement. (...) Le délai entre la réception d'une demande de Certificat de sélection est présentement de l'ordre de cinq ans pour les demandes en provenance du Maroc et de sept ans pour celles de l'Algérie et de la Tunisie".


Avant de remercier les demandeurs de leur "intérêt pour le Québec", le Service d'immigration les avise que, "compte tenu du volume important de demandes qui nous sont soumises, nous ne répondrons pas aux demandes concernant l'état ou le statut du dossier".


Le gouvernement du Québec explique l'augmentation des délais de traitement par cette explosion soudaine de la demande, qu'on attribue principalement aux démarches particulièrement actives des consultants en immigration.


Quant à la durée du délai, Claude Fradette, conseiller en communication au MRCI, précise "le cinq à sept ans, ça n'existe pas. C'est du virtuel pour l'instant. Personne n'a encore attendu ça", mais convient que ceux qui envoient leur demande maintenant, "vont attendre cinq ou sept ans si aucune mesure n'est prise". À l'heure actuelle, ceux qui reçoivent leur Certificat de sélection du Québec (CSQ) ont attendu en moyenne deux ans.


En 2003, les fonctionnaires du MRCI ont reçu 7882 demandes en provenance du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie et en ont traité 3911. Durant cette période, 4513 demandes sont parvenues de France et 4589 ont été traitées. À Hong-Kong, 4471 demandes ont été acheminées, 4225 ont été examinées.


Sur une période de quatre ans, de 2000 à 2003, le Maghreb a généré plus de 36 000 demandes, contre quelque 13 000 pour la France. Alors qu'il faut entre un et trois mois pour traiter une demande à Paris, le délai est de deux ans pour le nord de l'Afrique. Comment expliquer que trois fois plus de demandes entraînent des délais au mieux 12 fois plus longs avant d'obtenir une entrevue ? "C'est l'effet cascade, ça s'accumule", explique M. Fradette.


Michelle Courchesne


Me Brunet craint d'ailleurs que "l'effet cascade" s'empire au fil des années et que les délais dépassent bientôt sept ans, "au rythme où les demandes arrivent". À ce sujet, la ministre de l'Immigration, Michelle Courchesne, a affirmé le mois dernier en commission parlementaire sa ferme intention d'adresser le problème sans toutefois avancer de proposition concrète.


En point de presse, elle avait tenté une piste de solution, "rapatrier à Montréal une partie des dossiers du Maghreb, qui sont actuellement traités à Paris." Vérification faite, tous les dossiers ont été rapatriés à Montréal en 2001, justement pour augmenter la vitesse de traitement. L'équipe du Service d'immigration du Québec (SIQ) responsable des demandes en provenance de l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc est composée d'une douzaine d'employés. Une équipe de 10 employés, basée aussi à Montréal, traite les demandes reçues par le SIQ New York.


Demandes en 1995


En 1995, le Québec avait été confronté à une explosion de demandes d'Algériens fuyant la guerre civile. Le gouvernement avait alors mis en place une équipe spéciale pour pallier le surplus. En un an, 10 000 demandes avaient été traitées, et ce, uniquement pour l'Algérie. À cette époque, les avocats spécialisés en immigration déploraient les délais du gouvernement fédéral, qui, contrairement au Québec, ne fournissait pas à la demande. La situation est aujourd'hui inversée, Ottawa prend en moyenne huit mois pour traiter les demandes provenant du Maghreb.


Pour juguler le flot de demandes de cette région du monde, l'Association des avocats spécialisés en droit de l'immigration propose au gouvernement d'accepter un nombre limite de demandes légèrement supérieur aux objectifs fixés par le gouvernement. Ainsi, pour 2003, Québec comptait accepter 4300 immigrants du Maghreb, contre 7125 de Chine et 7250 de France.


Selon la proposition adressée par Me Brunet en commission parlementaire, les demandeurs dont la requête serait reçue au-delà de la limite établie seraient avisés du non-traitement de leur dossier et invités à se reprendre l'année suivante. Leur chèque ne serait bien sûr pas encaissé.


Mylène Moisan

Le Soleil

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