samedi 23 juin 2007

Marchands de rêve

Certains postulants marocains à l’immigration au Québec s’adressent à une boutique intermédiaire comme s’ils se confiaient à une cartomancière, au lieu de passer par la procédure diplomatique régulière.

Le Canada est la nouvelle frontière de tous les fantasmes migratoires. Le Maroc y occupe une bonne place et même plus qu’il n’en faut, au goût des autorités de ce vaste pays de l’extrême nord. Pour coller au sujet qui nous préoccupe, on devrait parler du Québec, plutôt que du Canada aux dix provinces et deux territoires.

Car c’est au Québec, une province au statut particulier, sept fois la France pour sept millions d’habitants, que se concentrent près de 90% des immigrants marocains. On peut dire, dans l’absolu, qu’il y a donc de l’espace pour des étendues à faible densité et à forte demande d’immigrants.

Sauf que l’équation espace-peuplement ne se pose pas uniquement en termes quantitatifs. Il y va aussi du profil des migrants et de l’équilibre ethnique et culturel dans une société originellement et foncièrement diversifiée. Cette diversité, que le gouvernement autonome du Québec veut, à tout prix, maintenir et entretenir, est précisément jugée menacée par un déséquilibre migratoire.

Arnaque


Le Maghreb en général et le Maroc en particulier y sont pour quelque chose. Un chiffre, à titre d’ordre de grandeur : sur la base de 37000 dossiers de demandes d’immigration planifiées, pour les quatre coins du monde, 19000 sont de provenance maghrébine, avec une écrasante majorité au compte des Marocains.
L’immigration clandestine sur des pateras de pacotille, à travers le Détroit de Gibraltar et à l’issue souvent dramatique, ressemble à un « sauve qui peut du Maroc», proprement calamiteux. Le grand départ vers le Canada est tout autre, pour cause d’Océan autrement plus difficilement franchissable par d’éventuels boat people qu’une « mer intérieure » comme la Méditerranée. Il se trouve que des officines intermédiaires font un mélange des genres, sous forme d’arnaque financière, en faisant de fausses promesses, au prix fort, à des candidats à l’immigration au Canada.
Ce qui a généré des dizaines de milliers de demandes dont la plupart sont en porte-à-faux par rapport aux critères de sélection du pays d’accueil.

De plus, ces vendeurs de rêves occasionnent aux services administratifs du Québec, un surplus de travail pour le tri des dossiers et l’obligation de réponse aux postulants. C’est précisément l’objectif de la visite au Maroc de Alcindor Maryse, sous ministre adjointe à l’immigration, depuis le mercredi 13 octobre 2004.


Pluri-culturalité


Les messages qu’elle compte faire passer sont simples. Un. L’interférence des intermédiaires en immigration vers le Québec constitue une sorte de commerce lucratif qui tirent avantage de la vulnérabilité de certaines catégories sociales.
Deux. Cette intermédiation n’est d’aucune utilité, puisque la personne candidate doit nécessairement répondre aux exigences nécessaires pour être sélectionnée et qu’il suffit pour cela de passer par le circuit officiel des services d’immigration-Québec. Trois. La planification des niveaux d’immigration du Québec ne saurait être dictée par les intérêts d’affaires de mercantiles locaux.
L’émissaire attitré du gouvernement québécois se défend de toute idée de fermeture de la province à une immigration spécifique. «La population québécoise, dit-elle, est formée d’une centaine de communautés de langues, de cultures et de religions diverses, qui contribuent à l’enrichissement social, économique et culturel du Québec». Ce qui constitue le socle d’une communauté qui entend maîtriser sa pluri-culturalité.

C’est son droit. Et elle s’en est donné les moyens par une nouvelle loi, adoptée en juin 2004, pour réguler les flux migratoires « par bassins géographiques lorsque jugés nécessaires ». Sur cette réglementation récente, madame la ministre avance l’argument de « l’égalité d’accessibilité au Québec». Elle s’en explique dans l’interview expresse, qu’elle nous a accordée (voir page 27).

Peut-on en vouloir aux autorités québécoises de décider souverainement du profil et du volume d’immigrants qu’ils souhaitent recevoir ? Évidemment que non ! Il n’est donc pas question que l’on se cache derrière la liberté totale et totalement libre de déplacement des personnes. Les Québécois ont établi des règles en utilisant à bon escient l’outil internet à travers un site d’une extrême lisibilité pédagogique.

Il est possible, dans n’importe quel cybercafé du coin, non seulement de se renseigner sur les conditions d’immigration requises, mais aussi de s’auto-évaluer sur les pré-requis exigés. On pourra, évidemment, objecter que le message internet s’adresse à une société à moitié analphabète où l’accès aux nouvelles technologies ressemble encore à la conquête de la lune. Objection rejetée, parce que, en plus des étudiants, les candidats marocains à l’immigration, non pas provisoire mais durable, au Québec, appartiennent à des catégories sociales lettrées, souvent diplômées et même parfois professionnellement intégrées. Ces postulants-là, précisément, au lieu de s’informer par internet et de passer par la procédure diplomatique régulière, s’adressent à une boutique intermédiaire comme s’ils se confiaient à une cartomancière.


Sollicitation


L’appel migratoire du Québec est donc maintenu. Mais la demande se veut, désormais, plus exigeante en matière de savoir-faire et d’expérience professionnelle. Précisément et fort heureusement, le profil des immigrants marocains n’est pas loin de ces conditions d’accès. Sept sur dix ont une scolarité post-scolaire. Ils sont au total quelque cent mille, se plaçant ainsi au troisième rang des catégories communautaires. Les étudiants marocains, au nombre d’un millier, font, eux, l’objet de sollicitation d’installation.

Du moins pour ceux dont la spécialisation et le choix professionnel correspondent aux possibilités réelles d’emplois. Il n’y a donc pas de grand décalage entre le type d’immigrants marocains et la grille de sélection québécoise. Il faut juste que la démarche à l’amont, ici-même, s’inscrive dans une procédure officielle et régulière. Avouez que ce n’est pas trop demandé.



Par Abdellatif Mansour

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