jeudi 28 juin 2007

Khadija Darid, magazine «Arabiyat» : une Arabe au Canada

«Arabiyat». Ce titre aux intonations musicales nous vient du Canada. Khadija Darid, une Marocaine installée depuis une vingtaine d’année au pays de l’érable et du Castor a décidé de tenter l’aventure de lancer un magazine bilingue. «Arabiyat» a donc vu le jour. Une entreprise originale. Car, cette femme que rien ne prédisposait à investir une carrière journalistique, s’est lancée un véritable défi. Celui de créer des liens entre une communauté d’origine arabe, numériquement très forte au Canada, mais très divisée, disparate. L’objectif était aussi de rectifier l’image que les canadiens commençaient à avoir, les médias aidant, des Arabes et des musulmans.

Le 11 septembre, qui ébranla les Etats-Unies voisins, agira comme un détonateur. Il fallait supporter le regard de l’autre, chargé d’interrogation, de suspicion, voire de crainte et de rejet. «Il faut savoir que les Canadiens sont des pacifistes. Ils ont du mal à comprendre que l’on puisse être violent», tente de justifier cette femme qui s’est complètement intégrée à la société canadienne. Etudiante en littérature en France, elle s’embarque un jour en compagnie de son mari pour Montréal. Ce qui devait être un simple voyage d’agrément s’est transformé en projet d’installation définitive. «Il faut dire que nos vacances se déroulaient au printemps. Nous n’avions alors aucune idée de l’hiver canadien», dit-elle avec un léger accent québécois. «Le froid devient supportable lorsqu’on découvre une société fondée sur des valeurs réelles de paix et de tolérance. Ce sont ces valeurs que je veux inculquer à mes enfants». Khadija Darid est sous le charme de ce pays qui l’a accepté avec ces différences et lui a offert les chances de son intégration au même titre que des milliers de citoyens venus d’ailleurs. Au bout de quelques années elle devient directrice d’un centre de réadaptation pour handicapés rattaché à un des plus grands centres hospitalier du Québec. Comme elle, des étrangers ont pu accéder à des fonctions importantes, y compris dans les hautes fonctions de l’administration et au sein des institutions représentatives.


Les Marocains font aujourd’hui partie d’une communauté qui a bien réussi au Canada. «C’est la communauté étrangère qui vient au premier plan en terme de niveau d’instruction élevé de ses membres. Les juifs viennent en seconde position», souligne-t-elle. Cet atout n’est pas suffisamment exploité à ses yeux. Khadija Darid se dit choquée lorsque les membres de la communauté juive s’opposent à la réception, via le réseau national de télévision, de la chaîne Al Jazeera et obtiennent gain de cause. Non qu’elle soit grande fan de la chaîne satellitaire, mais elle est subjuguée par la démarche d’une communauté qui reste vigilante et défend ses intérêts dans la solidarité totale. «Ce qui m’a le plus choqué c’est que les Arabes donnaient l’impression de ne pas être au courant». Son défi, à travers le lancement d’Arabiyat, était donc d’essayer de les rassembler ou du moins de créer des liens de communication entre eux. «Arabiyat» s’adresse en premier lieu aux femmes. La cible est délibérément choisie. Son idée était de sortir les femmes arabes de l’exclusion et de leur donner de la visibilité dans la société canadienne avec l’espoir de les voir agir plus efficacement que les hommes sur leur environnement. Elle est aujourd’hui la première surprise par le succès de son entreprise. Sa revue est très sollicitée par ses concitoyennes arabes qui tiennent à s’offrir un passage sur ses colonnes. Une source d’enrichissement permanent pour cette éternelle insatisfaite. “Je ne fais pas une revue à la hauteur de mes ambitions, mais plutôt à la hauteur de mes moyens ”. Khadija Darid apprend à connaître les autres femmes venues d’Algérie, d’Irak, de Liban, d’Egypte et d’ailleurs. «Nous avons en commun une langue, parfois une religion, mais nous avons chacune notre spécificité», précise-t-elle. Une belle diversité qu’elle tient à présenter à un lectorat composé pour le tiers de Canadiens francophones. Des projets pour son magazine, elle en a plein la tête, comme celui de le faire diffuser au Maroc.


Ce produit visiblement prisé, offre des sujets variés. Dossiers de société, de cultures, de mode et d’art culinaire meublent les pages de ce magazine imprimé en papier glacé. L’actualité marocaine sur la Moudawana fait la couv. du magazine. L’avancée du code donne des motifs de fierté à cette femme qui déclare la main sur le cœur : “ j’ai une partie de moi qui est restée ici au Maroc”. Regardant sa vie dans le rétroviseur, elle ose cette réflexion, un brin philosophique : «Parfois je me demande ce que j’aurai été si j’avais passé toute ma vie auprès de ma famille, dans mon pays. Je sais que je n’aurai pas été ce que je suis aujourd’hui, mais aurai-je été pire ou meilleure ? Je ne le saurai jamais. Ce que je crois surtout c’est que l’on doit être drôlement bien lorsqu’on est en harmonie avec son entourage et avec les valeurs qui nous entourent».


Le Matin

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